Le 15 août 2025, en Alaska, Vladimir Poutine et Donald Trump s'apprêteront à négocier, dans un format Yalta 2.0, les contours d'un nouvel ordre stratégique - avec, au centre des discussions, l'Ukraine et l'Europe, absentes du banquet où se décide pourtant leur sort.
Depuis la fin du Pacte de Varsovie, les relations russo-américaines sont structurées par une logique d'escalade alimentée par une perception mutuelle de menace. L'expansion de l'OTAN vers l'Est, les crises régionales et l'absence de mécanismes de désescalade ont cristallisé une rivalité stratégique qui, à son tour a réactivé les réflexes de confrontation bilatérale. Dans ce contexte, la rencontre bilatérale annoncée entre les deux dirigeants en Alaska, dans un format évoquant Yalta, incarne une recomposition du pouvoir mondial sans l'Europe ni l'Ukraine. Ce nouvel ordre sera analysé en deux temps : d'abord à travers le retour des formats exclusifs de régulation entre puissances, puis par l'effacement diplomatique de l'Ukraine et des élites européennes.
De Yalta 1945 à l'Alaska 2025, le retour des formats exclusifs de régulation entre puissances
La Conférence de Yalta de février 1945 demeure un jalon fondateur de la diplomatie de puissance. Elle consacra la régulation bilatérale des rapports de force entre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, excluant délibérément les Etats jugés stratégiquement marginaux. La mise à l'écart de Charles de Gaulle par Franklin Roosevelt, malgré le rôle symbolique de la France libre, traduisait une lecture réaliste des hiérarchies post-conflit. Ce précédent historique résonne aujourd'hui dans l'annonce de part et d'autre, d'un sommet entre Poutine et Trump le vendredi prochain en Alaska dans un format qui réactive les logiques de concertation entre puissances structurantes.
Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont poursuivi une politique d' expansion de l'OTAN vers l'Est, en contradiction avec les assurances verbales données à Moscou en 1990. Cette stratégie, fondée sur une lecture unipolaire du monde, a ignoré les impératifs de sécurité régionale et les équilibres historiques propres à l'espace eurasiatique. L' élargissement de l'Alliance jusqu'aux frontières russes, couplé à une série d'interventions militaires unilatérales en Yougoslavie, Irak, Libye, Syrie, etc., a nourri une perception de menace systémique à Moscou, catalysant une logique d'escalade durable.
Les crises successives - de Tbilissi à Donetsk - ont révélé l'incapacité des États-Unis à intégrer la Russie dans une architecture de sécurité inclusive. Washington, fidèle à la doctrine Truman et guidé par les vues d'esprit de Brzezinski, a préféré la confrontation à la cohabitation stratégique, en négligeant les mécanismes de désescalade et en favorisant une militarisation des zones de contact. Le sommet bilatéral entre Donald Trump et Vladimir Poutine, dans un format évoquant Yalta, consacre le retour à une diplomatie de puissances, fondée sur la reconnaissance mutuelle des sphères d'influence. Comme en 1945, les acteurs jugés stratégiquement marginaux - en l'occurrence Bruxelles, Londres et Kiev - sont exclus du processus décisionnel.
L'effacement diplomatique de l'Ukraine et des élites européennes
L'Ukraine, depuis Maïdan 2014, s'est positionnée comme un bastion avancé de l'ordre libéral occidental sans disposer des attributs de puissance nécessaires à cette ambition. Volodymyr Zelensky, soutenu par un appareil médiatique occidental et des flux financiers considérables, incarne une posture de résistance dont l'efficacité stratégique reste plus que jamais contestable. L'Etat ukrainien, vassalisé et instrumentalisé dans une logique de guerre par procuration, n'a jamais été intégré aux formats de négociation structurants. Il a seulement été convoqué à exposer ses fractures à Riyad et à Istanbul, mais aussi au bureau ovale de la Maison-Blanche et à l'occasion des sommets antithétiques occidentaux où la russophobie fut la thématique centrale. Son exclusion du sommet d'Alaska confirme son statut d'objet géopolitique, non de sujet diplomatique.
Quant à l'Union européenne de Von der Leyen et Kallas, elle illustre une crise profonde de la pensée stratégique. Prisonnière de ses dogmes normatifs, fragmentée dans ses orientations et dépendante de la tutelle sécuritaire américaine, elle s'est progressivement désengagée des dynamiques réelles de pouvoir. Son incapacité à dialoguer avec Moscou, à anticiper les recompositions régionales, et à formuler une doctrine autonome la condamne à l'insignifiance diplomatique. Comme en 1945, où la France fut écartée des négociations de Yalta, l'Europe contemporaine découvre qu'elle n'est plus un acteur structurant, mais un espace périphérique. Le Yalta 2.0 d'Alaska consacre donc cette marginalisation : une recomposition du monde sans l'Europe, sans l'Ukraine, et sans les illusions d'un ordre occidental universel.
On peut dire que le monde se redessine à huis clos pendant que l'Ukraine récite ses mantras et l'Europe s'indigne en coulisses - sans invitation, sans influence, et surtout sans importance.
Toutefois, Moscou se doit de demeurer vigilante, car dans ce type de sommet bilatéral, la lisibilité des intentions stratégiques de Washington reste, par nature, incertaine et sujette à réversibilité.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine
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